Eurêka 21, blog de développement durable, en français Eurêka 21 in english
Les article sur le développement durable

L’auto-suffisance énergétique : mode d’emploi de Beckerich - L’INTERVIEW

Beckerich est une petite commune rurale de 2200 habitants du Luxembourg. A 90% d’autonomie dans sa consommation énergétique, elle est une championne de rang mondial des énergies renouvelables ! Camille Gira, maire de Beckerich au dynamisme tout aussi « énergisant » que sa politique, retrace la route de l’indépendance énergétique.



JPEG - 21.8 ko
Camille Gira, Maire de Beckerich

Eurêka 21 : Parlez nous de la politique écologique de Beckerich…

Camille Gira : Tout a commencé dans les années 1990, lorsque Beckerich a mis en place une politique de développement durable. On sortait d’une crise. La ville avait connu un exode rural important. Peu à peu, l’environnement et l’écologie ont pris pieds à Beckerich. L’écologie, ce n’est pas simplement faire de la politique comme maintenant et ajouter un peu d’environnement. C’est une dimension à intégrer dans tous les domaines. Nous avons par exemple une installation de biométhanisation financée et gérée par une coopérative de 19 agriculteurs. La commune s’est mise d’accord avec les agriculteurs pour leur acheter la chaleur et la vendre aux différents clients. Ainsi, Beckerich est en train de mettre en place un énorme réseau de chaleur auquel on essaye de raccorder tous les villages et tous les ménages.

E21 : Des résultats chiffrés ?

CG : Aujourd’hui, on produit déjà nous-mêmes 90% de l’électricité en basse tension, et nous avons une importante chaudière à bois, mise en service en novembre 2008, qui fournit à peu près 40% de toute la chaleur consommée sur la commune. Nous sommes déjà bien avancés sur le chemin de l’indépendance énergétique.

E21 : Quel a été l’élément déclencheur ?

CG : Un moment important a été l’année 1990, où pour la première fois nous avons élaboré tout un programme écologique afin de réfléchir à ces questions. Mais c’est surtoutl’Alliance internationale du climat entre des communes européennes et des régions du Sud, que nous avons rejointe en 1995. On s’est fixé deux objectifs : réduire nos émissions de CO2 de 50% d’ici 2010 en référence à l’année 1990 ; aider les peuples du Sud à mettre en place un développement durable pour protéger la forêt tropicale. C’est depuis ce moment là que le thème de l’énergie s’est véritablement inscrit sur l’agenda de Beckerich. On a fait un diagnostic énergétique, pour voir comment on pourrait atteindre notre but, et nombre de projets se sont mis en place.

JPEG - 120.8 ko
Chaudière à bois, Beckerich (Luxembourg)

E21 : Quels sont les coûts de cette politique ? Qui sont les partenaires financiers ?

CG : La filière de biogaz a été financée par les agriculteurs, qui ont investi à peu près 5 millions d’euros, dont 50% ont été pris en charge par le ministère luxembourgeois de l’agriculture. La commune a investi près 9 millions d’euros dans la filière bois et le réseau de chaleur, dont un tiers provient du ministère de l’environnement. Pour le reste, nous avons engagé des prêts qui seront remboursés par les rentrées d’argent liées à la revente de la chaleur.

E21 : Quelle est la prochaine étape ?

CG : On va essayer bien sûr de raccorder peu à peu chaque village, chaque rue l’une après l’autre. C’est un grand projet qui va prendre entre 10 et 15 ans. Mais on est bien partis ! Je pense qu’après la crise, l’économie mondiale va redémarrer, et le pétrole avec. Plus le pétrole sera cher et plus on s’intéressera à notre projet. On est en train de faire un deuxième diagnostic énergétique, pour voir ou l’on en est, et pour se diriger vers l’autonomie, dont la source est dans la commune même.

E21 : Quel est l’impact économique ?

CG : Notre projet est très durable : non seulement nous diminuons considérablement nos émissions de C02, mais nous créons aussi de l’emploi sur place. On garde le pouvoir d’achat chez nous : lorsque les gens achètent de la chaleur, l’argent ne part pas en Arabie Saoudite ou à Moscou, il reste dans la commune. C’est aussi un projet social, nous avons mis en place une tarification qui avantage les ménages à faibles revenus. Les tarifs sont vraiment très bas pour que tous les ménages puissent en profiter. Si l’on considère que le pétrole, il y a huit mois, coûtait 150 dollars le baril, un ménage moyen gagne déjà 500 euros par an en se chauffant avec un système tel qu’il existe à Beckerich

E21 : Quelle est à ce jour votre plus grande réussite ?

CG : Ce grand projet d’autonomie énergétique est déjà un formidable succès en soi. 90% des gens qui en ont l’occasion s’accordent à notre réseau de chaleur. 15% des ménages ont déjà investi dans le solaire. Je pense que les gens l’ont très bien compris : à Beckerich, nous serons sortis du pétrole bien avant que la dernière goutte devienne si cher, que plus personne ne pourra se l’offrir.

JPEG - 75.8 ko
Usine de biométhanisation, Beckerich (Luxembourg)

E21 : Quelles sont vos recommandations pour une collectivité ?

CG : Tout d’abord, il faut garder patience. Les résultats actuels de Beckerich sont le fruit d’efforts de 10-15 ans. Il faut parler et agir en permanence. C’est surtout le début qui est difficile. Il ne faut pas se décourager si vous rencontrez des échecs en début de projet. Il faut prendre patience, être convaincu de ce que l’on fait et chercher des alliés. Après un certain temps, lorsque les premiers résultats apparaissent, les gens comprennent.

E21 : Vous êtes-vous inspirés d’expériences similaires dans d’autres pays européens ?

CG : Oui, bien sûr. Nous recherchons toujours l’échange avec des projets extérieurs. Nous avons visité une usine de biogaz au Danemark, étudié la filière bois en Autriche et en Suisse du Nord-Ouest. Nous avons vu Fribourg en Allemagne. Nous avons rapporté de nombreuses idées que nous avons adaptées à la situation du Luxembourg. Le plus difficile reste de convaincre les gens de vous suivre.

E21 : Quels sont les nouveaux projets et défis de votre commune ?

CG : Le défi de l’autonomie énergétique, ce n’est déjà pas rien ! Il y aura du travail pour toutes les générations. Les rails sont en place. Il y aura d’autres idées, d’autres projets sociaux et économiques, mais les bases sont là et préparent déjà l’avenir.

Propos recueillis le 5 mai 2009 par Zita Tugayé, Eurêka 21

Découvrez ICI l’article d’Eurêka 21 sur la stratégie énergétique de Beckerich.

Pour en savoir plus :
Le site officiel de la ville de Beckerich

PDF - 237.5 ko
Interview version imprimable