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Pontevedra, une ville sans voiture ? – L’INTERVIEW

Vivre dans une ville sans voiture est un rêve pour un grand nombre de citadins. A Pontevedra, en Espagne (région de la Galice), cela est une réalité. Cette agglomération de 83 000 habitants a entrepris une réforme urbaine de grande ampleur visant à réduire le trafic automobile et à redonner toute sa place aux piétons. Miguel Anxo Fernández Lores, Maire de Pontevedra depuis 1999, est à l’origine de ce projet. Il répond aux questions d’Eurêka 21 sur ce projet ambitieux.



E21 : Quelles ont été les grandes étapes de mise en place du projet ?

Miguel Anxo Fernández Lores : Je voudrais avant tout souligner que les voitures ne sont pas interdites à Pontevedra. Bien que de nombreuses personnes présentent Pontevedra comme « une ville sans voiture » ; nous préférons présenter Pontevedra comme la ville où seules les voitures nécessaires circulent. Il n’y a pas d’interdiction totale, chaque citoyen peut accéder à son garage et les entreprises ayant besoin de s’approvisionner peuvent se faire livrer librement. La première étape de notre projet fut de rendre le centre historique piéton, cela fut mis en œuvre seulement quelques jours après mon élection comme maire de la ville. Les étapes suivantes ont consisté à rendre les rues principales, ainsi que les rues commerçantes piétonnes, tout en réduisant le trafic dans l’ensemble de la ville. Nous avons aussi adapté l’espace public à ce que l’on appelle la « priorité inversée » : les piétons sont prioritaires, ensuite ce sont les vélos, puis les transports en commun et la voiture arrive seulement en dernière position. Dans la plupart des villes, c’est l’inverse : la priorité est donnée aux voitures plutôt qu’aux personnes.

E21 : Pouvez-vous nous expliquer le principe du plan “métrominuto” ? Par qui et quand a-t-il été mis en place ?

M.L : Metrominuto est une campagne de communication cherchant à promouvoir la marche à pied en tant que mode de déplacement agréable et requérant peu d’effort. Elle a été lancée par la municipalité en 2011 et est aujourd’hui développée dans plus de 50 villes du monde entier. L’application smartphone Metrominuto est en place seulement depuis quelques mois ; elle a été développée par une entreprise locale et les résultats sont pour le moment très satisfaisants.

E21 : Le projet « Camino escolar », encourage les enfants de la ville à se rendre à l’école non seulement à pied, mais aussi en totale autonomie. Comment parvenez-vous à instaurer un tel climat de confiance ?

M.L : Nous avons mis en place le projet Camino escolar depuis déjà plusieurs années. Aux prémisses du projet, un groupe d’adultes était chargé d’aider les enfants à traverser aux passages piétons et aux principaux carrefours. Depuis quelques années, nous considérons que les enfants peuvent se déplacer seuls dans la ville car les mesures de régulation du trafic sont efficaces. La ville est adaptée à une mobilité plus libre et sécurisée, favorisant ainsi le déplacement de tous, y compris des enfants.

E21 : Quels ont été les résultats de ce projet ?

M.L : Les effets de notre projet sont multiples, certains aspects sont plus difficilement mesurables que d’autres ; il est par exemple difficile d’évaluer l’impact de notre projet sur la qualité de vie des habitants. Certains résultats sont toutefois plus visibles : notre démarche a permis de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 66% par rapport à 1999, de réduire le trafic de 96% dans le centre historique piéton, de 77% dans l’axe principal et de 53% dans l’ensemble de la ville. Le nombre d’accidents de la route a considérablement baissé, de 129 blessés graves en 2000, nous sommes passés à seulement 12 en 2015. 70% des déplacements s’effectuent à pied ou à vélo et 81% des enfants se rendent à l’école à pied. Pontevedra est composée de 300 passages piétons et de 35 nouveaux ronds-points permettant de rendre effective la limitation maximale de la vitesse à 30km/h.

E21 : Vous avez gagné plusieurs prix, dont le prix Intermodes en 2013, est-ce une manière de communiquer sur le projet ? De façon plus générale, quels outils de communication employez-vous afin d’assurer la visibilité de ce projet ?

M.L : Nous avons remporté nos premiers prix, notamment le prix Intermodes, sans avoir candidaté et ce fut pour nous une grande et agréable surprise. A partir de ce moment, la promotion de notre modèle alternatif de ville est devenu un de nos objectifs de communication. En diffusant ces idées, nous contribuons au développement de projets similaires dans des villes du monde entier.

E21 : Le projet de Pontevedra semble être un véritable succès, comment l’expliquez-vous ?

M.L : Les clés du succès sont plurielles. Une transformation aussi profonde et radicale ne peut se faire sans volonté politique, sans participation citoyenne et sans communication. Dans une société ouverte, démocratique et participative comme la nôtre, ces trois éléments sont indispensables. S’il ne fallait en choisir qu’un seul, ce serait sans nul doute la volonté politique car c’est seulement avec des idées bien claires et précises que l’on peut surmonter les nombreuses difficultés que tout projet ambitieux est susceptible de rencontrer.

E21 : Quelles difficultés la ville de Pontevedra a-t-elle rencontrées ? Comment les avez-vous surmontées ?

M.L : Nous avons été confrontés à quelques difficultés et avons reçu plusieurs critiques, essentiellement de la part de l’opposition politique et de certaines entreprises s’inquiétant des conséquences d’une telle mesure sur leur chiffre d’affaire. L’opposition conservatrice a même mené une action en justice, classée plusieurs années plus tard. Les inquiétudes des entreprises se sont vite dissipées lorsqu’elles ont compris que la piétonisation des rues, notamment des rues commerçantes, pouvait leur être bénéfique. Il est assez paradoxal d’observer comment les citoyens les plus réticents au départ, se sont révélés être les plus grands défenseurs de notre modèle.

E21 : Vous avez réalisé d’importants travaux dans la ville (suppression des trottoirs, réaménagement de l’espace public, grands parkings à l’extérieur de la ville…), comment ont-ils été financés ?

M.L : Les villes se renouvellent constamment et, par conséquent, il est important que les travaux publics répondent à des critères avancés en matière de nouvelles mobilités ou de durabilité. La majeure partie du financement provient de la Municipalité, même si d’autres administrations ont-elles aussi participé : les administrations territoriales, la communauté autonome, l’Etat et l’Europe.

E21 : En 2016, vous avez notamment présenté votre projet au forum « Métropoles en transition » organisé en France, par la Ville de Rouen. Par quels autres moyens partagez-vous votre expérience et savoir-faire ?

M.L : Nous recevons régulièrement des demandes de la part de plusieurs villes espagnoles, françaises, et d’autres pays en Europe. De nombreuses villes souhaitent s’engager dans un tel projet mais, bien souvent, nous avons l’impression que cela s’inscrit davantage dans le chapitre des bonnes intentions, plutôt que dans celui des réalisations concrètes. Les villes abordent seulement certains aspects et non le projet dans sa globalité. Chaque ville à ses propres caractéristiques et doit trouver sa propre formule ainsi que le moment adéquat pour se lancer.

E21 : Cette idée de ville sans voiture est née il y a maintenant plus de 15 ans, avez-vous de nouvelles perspectives pour l’avenir ? Si oui, quelles sont-elles ?

M.L : Pontevedra est une ville mais c’est aussi une aire urbaine dans laquelle plus de 20 000 personnes vivent plus ou moins loin du centre urbain. L’habitat est dispersé et s’étend de plus en plus dans des zones périphériques. Notre ambition est d’étendre notre modèle à ces zones, en développant des mesures de mobilité durable et de sécurité routière.

E21 : Quels sont les trois conseils que vous donneriez aux villes souhaitant lancer une initiative similaire ?

M.L : Il est tout d’abord essentiel de bien cerner l’objectif central du projet : replacer le citoyen au centre de l’espace publique, donner la priorité au piéton, privilégier la marche et les transports en commun à l’utilisation de la voiture. Il faut aussi appréhender la ville de manière globale et sur le long terme, et non de manière partielle et en ne se focalisant pas uniquement sur des intérêts immédiats. Enfin, il est nécessaire de s’appuyer sur les secteurs les plus dynamiques et de ne pas céder aux pressions conservatrices. Toutefois, personne ne peut donner de conseils infaillibles, chaque ville est unique, possède sa propre dynamique et doit donc trouver son propre chemin pour avancer.

© (photos) Municipalité de Pontevedra

Le site de la ville : http://www.pontevedra.gal/

Interview réalisée en juin 2017 par Cécilia Dumesnil, pour Eurêka 21

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