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Univerbal, quand la maîtrise d’une langue étrangère devient un atout professionnel pour les femmes migrantes à Liège – L’INTERVIEW

Né en 2016 à Liège, le projet Univerbal offre une formation en interprétariat social à des femmes migrantes. L’interprétariat en milieu social (hôpital, centre de santé, école, police…) est en plein essor suite aux récents flux migratoires en Belgique et plus généralement en Europe. Mis en place par l’association belge « Le Monde des Possibles », Univerbal offre une perspective d’intégration professionnelle à ses participantes. Ce centre de formation donne des cours de français et propose une initiation aux nouvelles technologies aux personnes primo arrivantes, sans papiers, demandeuses d’asile ou bénéficiant du statut de réfugié. Co-financé par le Fonds Social Européen et l’AMIF (Fonds Asile, Migration et Intégration), Univerbal offre une formation gratuite et de qualité aux futurs interprètes. Charlotte Poisson, coordinatrice du projet au « Monde des Possibles », répond aux questions d’Eurêka 21 pour nous en dire plus sur cette initiative.



EUREKA 21 : Quand et comment le projet Univerbal est-il né ?

CHARLOTTE POISSON : Univerbal est un projet offrant une formation en interprétariat social à des femmes migrantes. Ces dernières disposent de compétences linguistiques particulièrement recherchées, notamment par les institutions travaillant avec des populations d’origine étrangère et ayant un besoin croissant d’interprètes pour communiquer. Univerbal est né en 2016, à la suite d’un autre projet mené par notre association, portant sur l’émancipation des femmes. A la fin de cette première étape, les participantes ont manifesté leur intérêt de poursuivre le travail et leur volonté d’acquérir de nouvelles compétences. Univerbal est donc né du désir des femmes elles-mêmes.

E21 : Qui sont les participants au projet ?

C. P. : Au début du projet, en 2016, les participants étaient uniquement des femmes. Pour intégrer le programme de formation, elles devaient disposer d’un niveau B1 en français. Ces femmes suivaient des cours de français au sein de l’association ou participaient à d’autres projets menés par Le « Monde des Possibles ». Notre association est sensible aux discriminations dont sont victimes les femmes, qui plus est lorsqu’elles sont d’origine étrangère. Les emplois proposés à ces femmes sont souvent peu qualifiés et ne correspondent pas à leur profil. En 2017, la formation a été élargie aux hommes, avec l’idée que les inclure permettrait aussi de favoriser l’émancipation des femmes et la sensibilisation des hommes à cette problématique. En Wallonie, il n’y a pas de formation spécifique pour l’interprétariat en milieu social et nos participants n’ont pas nécessairement reçu une formation dans ce domaine dans leur pays d’origine. Ils maîtrisent toutefois tous une langue étrangère et ont un niveau correct en français. Certains ont également reçu une formation dans un autre domaine, tel que le secrétariat ou encore l’informatique. En 2016, 19 femmes ont participé à la formation et en 2017, 12 personnes participent actuellement à la première session. Une seconde session sera organisée dans la deuxième partie de l’année. Un maximum de 15 personnes a été fixé, principalement pour des questions logistiques et de moyens financiers et humains. Sur les 12 participants, 3 avaient déjà participé à des activités organisées par l’association et notamment aux cours de français tandis que d’autres ont eu connaissance du projet via le bouche à oreille ou via des assistants sociaux.

E21 : Quel est le contenu de la formation ? Comment les participants sont-ils impliqués ?

C. P. : En 2016, il y a eu deux promotions de 200 heures, chacune comprenant une période de deux semaines (50h) de stage. Chaque session de formation dure deux mois et se déroule en matinée du mardi au vendredi. Les participants peuvent donc travailler ou suivre des cours de français en parallèle par exemple. Plusieurs thématiques sociales, juridiques, culturelles sont abordées au cours des formations. Une introduction à la déontologie du métier d’interprète est également proposée. Les formations font l’objet d’une co-construction avec les participants. Lorsqu’ils reviennent de stage, ils partagent leur expérience mais aussi les problèmes rencontrés, comme par exemple le manque de vocabulaire spécifique. Des vidéos sont ensuite réalisées par les participants pour, par exemple, expliquer comment agir dans certaines situations délicates, quel mot utiliser pour traduire telle expression. Le but de nos formations est d’ « outiller » les personnes migrantes ; elles sont véritablement parties prenantes du contenu des formations. Les participants sont également impliqués dans l’organisation du programme, ils gèrent par exemple les demandes en interprétariat de la part des institutions. L’idée est aussi qu’ils parviennent eux-mêmes à trouver des prestations.

E21 : Par qui sont assurées ces formations ?

C. P. : Une seule personne est chargée de coordonner la formation et est en charge du volet « approche interculturelle ». Par ailleurs, de nombreux invités partagent leur expérience d’interprète avec les participants. Des jeux de rôles et de mise en situation sont également organisés, un des participants joue par exemple un assistant social, un deuxième, celui du traducteur et un troisième, celui de la personne qui s’exprime et dont il faut traduire les paroles.

E21 : Vous travaillez avec des partenaires socio-culturels ayant des besoins en termes de services d’interprétation et/ou traduction en faveur de leurs bénéficiaires. Qui sont ces partenaires ?

C. P. : Ces partenaires sont divers, ce sont par exemple les Centres d’accueil Croix-Rouge, les Centres régionaux d’intégration comme le CRIPEL (Centre Régional pour l’intégration des personnes Etrangères ou d’origine étrangère de Liège), l’association « Lire et écrire », le service médiation interculturelle de l’hôpital de Liège… Nos participants effectuent un stage au sein de ces organismes, ce qui leur permet de valider leurs compétences. Par ailleurs, accueillir nos stagiaires est bénéfique pour ces organismes qui ont besoin d’interprètes pour aider des personnes étrangères dans leurs démarches administratives par exemple.

E21 : Comment assurez-vous le suivi des participantes en stage ?

C. P. : Les stages se déroulent sur deux semaines (50 heures). La coordinatrice du projet effectue tout d’abord une visite préalable sur les lieux du stage, le participant s’y rend ensuite pour signer sa convention et se familiariser avec l’environnement. Au cours du stage, la coordinatrice effectue des visites, échange avec l’organisme d’accueil et les participants de manière informelle. A la fin du stage, les participants et la coordinatrice définissent les points à améliorer, tentent d’identifier des solutions et dressent un premier bilan de l’expérience.

E21 : Quelles sont vos relations/liens avec les autorités publiques locales ?

C. P. : Les organismes avec lesquels nous travaillons, comme le CRIPEL (Centre Régional pour l’Intégration des Personnes Etrangères ou d’Origine Etrangère de Liège) et les CPAS (Centre Public d’Action sociale) ont des liens forts avec la municipalité. Les pouvoirs publics locaux participent également directement à nos actions en accueillant des stagiaires, en offrant des titres de transport gratuits ou encore en mettant à disposition des locaux.

E21 : Quelles sont vos relations avec la communauté locale, les habitants ?

C. P. : Univerbal a la volonté d’ouvrir ses portes à d’autres profils et de s’ouvrir sur l’extérieur. Au-delà de ce projet, « Le Monde des Possibles » mène différentes initiatives telles que « 109 », un programme de parrainage entre seniors belges et migrants, ou « REDEM’ARTS » pour les jeunes en décrochage scolaire. L’idée est de créer des transversalités, de trouver des thématiques communes entre les projets et d’organiser des rencontres entre les différents groupes. Par exemple, les seniors du projet « 109 » peuvent faire appel aux interprètes du projet Univerbal lorsqu’ils souhaitent communiquer avec leur filleul qui ne parle pas toujours la même langue.

E21 : Les élèves, une fois la formation terminée, parviennent-ils à trouver un emploi ?

C. P. : Le projet a débuté en 2016, il est encore un peu tôt pour mesurer l’impact de la formation pour les participants sur le marché du travail. Univerbal souhaite démontrer que l’interprétariat social est un véritable métier. Il existe plusieurs possibilités d’emploi, telles que les emplois à contrat volontaire avec lesquels il n’est toutefois pas possible de gagner plus d’un certain montant par an. Il est également possible d’être engagé directement par un organisme, tels que les centres Croix-Rouge, ou de travailler en tant qu’indépendant. Toutefois, Univerbal souhaite fédérer, à terme, tous les interprètes au sein d’une coopérative de migrants. La formation dispensée par Univerbal permet en tout cas aux participants de mettre en avant leur compétence linguistique ; par exemple les compétences linguistiques acquises peuvent être inscrites dans les dossiers Forem, l’équivalent de Pôle Emploi en Wallonie. La formation est donc importante en terme de valorisation du parcours.

E21 : Univerbal a participé au concours REVES du Conseil Economique et Social Européen. Est-ce une manière de faire connaître le projet ? De manière plus générale, comment communiquez-vous sur le projet ?

C. P. : Univerbal a reçu le label d’argent du réseau REVES le 8 juin 2017. Cette reconnaissance symbolique nous permet de valoriser Univerbal, de montrer qu’il a du sens et qu’il est reconnu au niveau européen. Cela est d’autant plus important dans un contexte d’attente de financement du Fonds social européen pour l’an prochain. Nous sommes dépendants des subventions pour assurer la continuité du projet ; toutes les occasions sont donc opportunes pour en parler. Nous avons également un blog, dont certains articles sont écrits par les participantes elles-mêmes. A travers nos différents projets nous participons à plusieurs rencontres internationales, qui sont l’occasion de communiquer sur Univerbal. Nos participants-interprètes ont également des cartes de visite distribuées aux différents organismes.

E21 : Êtes-vous en contact avec d’autres organisations/associations travaillant dans le champ de l’inclusion professionnelle des migrants ?

C. P. : Au travers des différents projets menés par l’association, l’équipe du « Monde des Possibles » est amenée à rencontrer différents partenaires européens. Des contacts ont par exemple été échangés au cours d’une formation Erasmus +, des idées de projets futurs naissent de ces rencontres. Nous souhaitons par exemple nous rapprocher de coopératives européennes de migrants situées en Italie ou encore d’un service d’interprétariat en milieu social situé en Allemagne. Au cours d’un projet, il est important de penser à son futur, et ces rencontres sont l’occasion de le faire.

E21 : Quels sont les trois conseils que vous pourriez donner à d’autres organisations souhaitant mettre en place un projet similaire ?

C. P. : Mon premier conseil est de développer une confiance dans les capacités linguistiques des personnes d’origine étrangère qui témoignent d’aptitudes dans le domaine de l’interprétariat en milieu social. Dans une pratique professionnelle qui n’est pas balisée par un référentiel métier, les qualifications s’acquièrent en formation et en situation. Il est nécessaire de développer des indicateurs qui permettent de suivre leur évolution ainsi que des outils pédagogiques et méthodologies co-construits avec les praticiens. Mon deuxième conseil est de soutenir une logique autogestionnaire par laquelle chaque interprète peut s’impliquer dans le projet, s’y sentir reconnu dans ses compétences, contribuer à la mutualisation des efforts/ressources et être rémunéré pour son travail. Il faut pour cela travailler à la solidarité, à la reconnaissance des interprètes entre eux et par les partenaires. Mon troisième et dernier conseil est de réfléchir à l’articulation du projet avec le cadre législatif régissant l’interprétariat en milieu social. Il faut pour cela envisager des stratégies multi-parties-prenantes, où le projet peut se développer à différents niveaux (communal, régional, « euro régional », international) et auprès de différents opérateurs susceptibles de solliciter les interprètes.

© (photos) Univerbal

Le site web du projet : https://projetuniverbal.wordpress.com/

Interview réalisée en juin 2017 par Cécilia Dumesnil, pour Eurêka 21

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