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Social Innovation Lab For Kent (SILK) : la parole aux citoyens ! – L’INTERVIEW

Prenez une agence de design spécialisée dans la création de services publics et le Comté du Kent, particulièrement réactif en termes d’expérimentation sociale. Imaginez-les monter un projet commun donnant vie à un laboratoire de création de services publics, où les citoyens sont conviés à réfléchir sur la conception et la mise en œuvre de projets innovants dont ils seront les futurs bénéficiaires. Cela vous permettra de saisir le caractère original et innovant du Social Innovation Lab For Kent (SILK), structure basée dans le Comté du Kent, en Angleterre, dont le but est d’identifier des solutions concrètes et durables pour surmonter les défis du territoire. Pour tout projet initié par le laboratoire, une équipe multidisciplinaire est associée, afin de transformer l’idée de départ en quelque chose de tangible.
Avec déjà plusieurs succès à la clé, le SILK est la preuve que le développement d’un territoire implique créativité et participation citoyenne.
Eurêka 21 a interviewé Emma Barret, membre de l’équipe du SILK, pour comprendre l’histoire de ce projet gagnant.



E21 : Quelles sont les origines du Social Innovation Lab for Kent (SILK) ?

EMMA BARRET : SILK est né en 2007 d’une collaboration entre une agence spécialisée en design de services, Engine, et le Comté du Kent. Le projet a été lancé à l’issue d’une étude sur la configuration politique locale montrant la nécessité de retisser le lien entre les autorités publiques et la vie quotidienne des citoyens. Ses fondateurs, Joe Heapy et Sophie Parker, étaient respectivement directeur de Engine et consultante freelance pour le Conseil du Comté du Kent. Ils avaient écrit un livre à quatre mains s’intitulant « Voyage dans l’interface », dans lequel ils avaient analysé différents types de prestation de services pour développer un modèle innovant de politique locale basée sur l’interface entre les citoyens et les services publiques. Leur but était donc de passer de la théorie à la pratique et d’inspirer les autorités publiques locales dans la mise en place de ce modèle.

E21 : Le territoire du Kent présente-il des caractéristiques particulières impliquant la création du SILK ?

E. B. : Le Kent est un très vaste territoire qui, par sa configuration géographique, rend plus difficile l’offre homogène de services publics. Certaines personnes sont souvent exclues de ces services, rendant d’autant plus nécessaire la présence d’un laboratoire d’innovation sociale. En outre, le Kent est connu au niveau politique comme étant un territoire d’innovation et d’expérimentation sociales, bien que plutôt conservateur.

E21 : Quelle est l’action du SILK ?

E. B. : Les membres du SILK siègent au Conseil du Comté du Kent : ils forment une équipe de travail interne au Conseil opérant au sein de la société, en contact étroit avec les citoyens. Nous jouons donc le rôle d’une « commission stratégique » que les autorités locales mobilisent pour mieux comprendre et administrer leur territoire.

E21 : En quoi consiste l’idée fondatrice du SILK ?

E. B. : Nous travaillons à la conception de projets s’adressant aux citoyens et mis en œuvre par les citoyens. Dès qu’un nouveau projet est lancé, nous identifions les personnes les plus adaptées, les réunissons autour de la table pour qu’elles croisent leurs regards et travaillent en synergie. Le choix des participants est fondamental, le but étant de mettre toujours les bonnes personnes à la tête de nos projets. Il peut s’agir d’acteurs très différents car l’expertise professionnelle est jugée aussi importante que l’expérience personnelle. Ainsi, nous nous adressons aussi bien à des experts du secteur (des sociologues, des anthropologues, des psychologues, des architectes etc.), qu’à des personnes de la société civile faisant face à des problèmes spécifiques.

E21 : Pourriez-vous nous donner des exemples concrets d’action ?

E. B. : Prenons par exemple le premier projet réalisé par SILK : « Just Coping ». Il visait à améliorer la qualité de vie des familles défavorisées. Le Conseil du Comté du Kent souhaitait apporter une réponse aux problèmes de ce public mais ne savait pas concrètement comment agir. Afin de venir en aide à la fois aux familles et aux décideurs publics, SILK a recruté un groupe d’anthropologues chargés de suivre la vie quotidienne de nos bénéficiaires et de leur poser des questions sur leurs besoins, leur état émotif, leurs attentes, etc. Parallèlement, notre équipe a interrogé des experts travaillant au quotidien avec ces familles et souhaitant contribuer à l’amélioration de leur qualité de vie. Les résultats de ces enquêtes ont ensuite été partagés lors de deux journées d’ateliers organisées par notre laboratoire.
Prenons maintenant un autre exemple : « Dementia Friendly Community ». Ce projet visait à créer un environnement plus accueillant pour les personnes souffrant de maladies mentales. Le nombre de personnes âgées dans notre communauté augmentant, ce phénomène va s’accompagner d’un accroissement des troubles mentaux. Pour faire face à ce problème, nous avons sollicité des experts et des proches des malades, confrontés tous deux aux conséquences de la maladie.

E21 : SILK implique donc la mise en place de projets concrets ?

E. B. : Oui. L’un de mes projets préférés est R Shop Bulk Buy. L’idée est née d’une mère souhaitant rendre moins stressantes et plus rentables ses courses au supermarché. Le projet a consisté à mettre en place un système d’achat collectif permettant, d’une part, de livrer à la communauté les objets les plus lourds et les plus encombrants et, d’autre part, à réduire les coûts de transport.
Nous estimons qu’il n’y jamais d’échec dans ce genre de travail, tout projet étant une occasion d’apprendre et de progresser.

E21 : Comment se déroulent concrètement l’élaboration et la mise en place de vos projets ?

E. B. : Tout projet mis en place par SILK s’articule autour de plusieurs phases. Lorsque nous décidons d’aborder une problématique spécifique du territoire du Kent, nous menons avant tout des analyses et des recherches approfondies. Nous essayons de nous former un regard « de l’intérieur », en faisant appel à l’expérience de toute partie prenante. Nous construisons ensuite un espace de participation démocratique à l’intérieur duquel toute contribution est la bienvenue et chaque participant est amené à respecter l’opinion des autres. Idéalement nous essayons d’organiser une réunion par semaine sous forme d’atelier. Dans un deuxième temps, nous passons à la phase dite « d’expérimentation » pendant laquelle nous sélectionnons les idées nous semblant les meilleures et nous évaluons leur faisabilité avec tous les participants. A l’issue de cette phase de 3 mois, les personnes en charge du projet sont prêtes à passer de la théorie à la pratique.

E21 : Comment communiquez-vous sur les résultats ?

E. B. : Le principal moyen de communication est notre site Internet, mis constamment à jour afin d’informer le public sur l’état d’avancement de chaque projet. En outre, nous définissons en amont une stratégie de communication précise pour chaque nouveau projet. Notre équipe étant resserrée (trois personnes actuellement), nous ne sommes pas en mesure de mener une véritable campagne de communication. D’ailleurs, ce qui nous intéresse avant tout, est la réussite de nos projets.

E21 : Quelles sont les principales difficultés dans vos missions ?

E. B. : Souvent des questions purement techniques et administratives alourdissent et ralentissent le travail, rendant moins efficace la démarche participative à mettre en place.

E21 : Quels conseils donneriez-vous aux personnes souhaitant mettre en place un projet similaire ?

E. B. : J’aurais surtout trois conseils à donner : essayez de monter une équipe motivée, pleine de bonne volonté ; établissez des relations génuines avec vos collègues et vos bénéficiaires, basées sur l’honnêteté et la confiance ; donnez vous le temps de dialoguer avec les gens afin d’être productifs ensemble.
Et enfin, pour reprendre le slogan de SILK, « Commencez par les gens et avec les gens ! ».

Interview réalisé en mai 2014 par Flavia Lucidi, pour Eurêka 21

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