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Croissance inclusive : aider les seniors à réintégrer le marché de l’emploi - L’INTERVIEW

Dans sa mission d’accompagnement des seniors en recherche d’emploi, la ville d’Elblag (Pologne) constate un échec certain dans son action. Une grande partie de ce public réinséré sur le marché du travail ne parvient pas à conserver son emploi dans la durée. La municipalité met alors en place une action pilote, inspirée d’une initiative finlandaise. Il s’agit de définir un plan personnalisé de développement pour les chômeurs seniors prenant en compte à la fois l’état physique et psychologique des participants et leur situation professionnelle. Le projet est un vrai succès : il gagne de l’ampleur dans le reste du pays et reçoit le prix RegioStars 2013 pour la catégorie « Croissance inclusive : innovation sociale, des réponses créatives aux défis sociétaux ».
Anna Trzuskolas, chargé de projet à Erkon, répond aux questions d’Eurêka 21 pour nous faire découvrir cette ambitieuse initiative.



Eurêka 21 : En quelques mots, en quoi a consisté votre projet ?

Anna Trzuskolas : Le projet vise à aider des seniors en recherche d’emploi, souffrant de troubles de santé, à trouver un travail et à réussir leur vie professionnelle. Pour ce faire, nous avons mobilisé une équipe d’experts composée d’un médecin, d’un psychologue et d’un conseiller pour l’emploi, dont le rôle était d’élaborer un diagnostic à profils multiples pour chacun de nos bénéficiaires. Dans un deuxième temps, notre équipe a eu recours à l’expertise d’un groupe de coaches professionnels, chargés de prendre contact avec les employeurs locaux et d’assister les demandeurs d’emploi aussi bien, pendant la recherche du nouvel emploi que dans les mois suivant l’embauche.

E21 : Quelle sont les origines du projet ?

A. T. : Depuis plusieurs mois notre équipe d’Erkon réfléchissait à la mise en place d’un projet de ce type. Nous avions accumulé beaucoup de frustration et de colère car nous avions aidé nos bénéficiaires à trouver un emploi mais beaucoup d’entre eux, l’avaient ensuite perdu. Nous voulions à tout prix remonter à la source du problème pour réussir enfin notre mission. Ainsi, nous avons interrogé nos bénéficiaires, leurs proches, leurs ex-employeurs etc : que s’était-il passé ? Pourquoi avaient-ils perdu leur travail ? En quoi n’avions-nous pas réussi ? Quel type d’aide leur aurait-il fallu ? Le scénario était souvent le même : troubles physiques, stress, manque de compétences professionnelles, peu de soutien psychologique, diagnostics médicaux incomplets, avaient été parmi les principales causes de leur départ de l’entreprise.

E21 : Comment avez-vous choisi les participants au projet ?

A.T. : Ils ont été sélectionnés par l’équipe interdisciplinaire (le psychologue, le conseiller professionnel, le médecin) chargée d’évaluer leur état de santé physique et psychologique ainsi que leur situation professionnelle. L’implication d’un médecin au sein de l’équipe est le résultat de la collaboration avec notre partenaire finlandais. Grâce à cette idée, nous avons pu mener des actions plus efficaces pour nos bénéficiaires.

E21 : Les participants ont-ils reçu des soins médicaux ? A.T. : Ce n’était pas le but du projet. Le rôle du médecin consistait à sélectionner les participants. Son avis nous a permis d’éviter les obstacles liés aux problèmes de santé de nos bénéficiaires et d’augmenter les possibilités de réussite du projet. La fonction du médecin était d’apprécier si le patient était apte à réintégrer de suite le marché du travail ou si il lui fallait préalablement un traitement médical immédiat.

E21 : Et les coaches professionnels, comment les avez-vous sélectionnés ? Ont-ils reçu une formation avant de prendre part au projet ?

A.T. : Ils avaient déjà participé à d’autres projets mis en place par notre organisation. La selection a été faite sur la base de leurs connaissances, de leurs compétences et de leur aptitude à travailler aussi bien avec des demandeurs d’emploi de longue durée que des personnes en situation de handicap physique.

E21 : Comment s’effectue l’accompagnement ?

A.T. : Le rôle du tuteur professionnel est d’aider la personne à s’adapter à son nouvel emploi. Grâce a son soutien, les seniors se sentent plus en sécurité, plus à l’aise et plus confiants. C’est un aspect très important pour des personnes ayant été au chômage pendant une longue période. Ce monitorage de six mois assuré par le coach, permet d’évaluer les compétences du salarié et de vérifier que le nouvel emploi est effectivement adapté à son profil. Cela implique que le coach professionnel ait une vision précise d’une part, des besoins de l’employeur et d’autre part, de l’état physique et psychologique du salarié et de ses compétences professionnelles. Le tuteur professionnel établit une collaboration étroite avec l’employeur permettant de conduire plus facilement cette action de monitorage. En mars 2009, nous avons conduit une enquête montrant que les employeurs sont ouverts à cette solution.
Ce monitorage professionnel est un vrai élément de nouveauté. L’approche traditionnelle implique que les organismes d’aide au recrutement interrompent toute relation avec leurs bénéficiaires après le recrutement. Toutefois, faire appel à un coach professionnel permet d’acquérir plus de confiance sur le lieu du travail, réduit le stress causé par le nouvel environnement et renforce les compétences acquises. Le tuteur réduit progressivement son soutien. D’après nous, six mois est le temps nécessaire pour permettre à la personne de développer ses compétences professionnelles et lui permettre ainsi de rester à terme sur le marché du travail.

E21 : Comment les employeurs locaux se sont-ils impliqués dans le projet et comment les avez-vous sensibilisés à la question du chômage des seniors ?

A.T. : Dans un premier temps, nous avons conduit une étude sociologique dont le but était de déterminer les causes du chômage de longue durée et de comprendre les raisons de leur difficile intégration sur le marché de l‘emploi. Nous avons aussi examiné la relation existant entre les employeurs et les chômeurs de longue durée : que pensent les employeurs de ces chômeurs ? Dans quelle mesure seraient-ils prêts à travailler avec eux ? Quel type de rapports professionnels ont-ils eus avec ces personnes ?
Dans un second temps, des contacts et des relations avec les employeurs ont été établis par nos coaches et par le conseiller professionnel. Notre équipe a rencontré les employeurs et s’est renseignée sur les offres d’emploi, sélectionnant un salarié potentiel pour chaque poste proposé. Les relations avec les employeurs se sont poursuivies après le recrutement, permettant aux coaches de rester un intermédiaire entre les ex-demandeurs d’emploi et leurs employeurs.

E21 : Quelles difficultés avez-vous rencontrées ? Quelles solutions avez-vous trouvées ?

A.T. : Au départ, le problème principal se concentrait surtout sur la crainte et la déception des seniors face à leur situation. Néanmoins, le travail du tuteur, du conseiller professionnel et du psychologue a permis d’accroître leur confiance. Cela les a motivés à trouver un nouvel emploi et à le garder ensuite.
Une autre difficulté était liée aux familles des participants au projet. Souvent, elles décourageaient nos bénéficiaires à trouver un nouveau emploi car, une fois embauchés, ils contribueraient moins aux tâches domestiques. Dans certains cas, nous avons agi trop tard et le participant s’est retiré du projet.
Un autre problème a été la récurrence de la maladie, la majorité de nos bénéficiaires étant des personnes avec des handicaps.
Aussi, nous avons dû convaincre nos bénéficiaires à changer d’emploi lorsque, pour des raisons de santé, ils ne pouvaient plus continuer à exercer leur profession initiale. Il a donc fallu trouver un travail adapté à chaque personne et que celles-ci donne son approbation.

E21 : Quels conseils donneriez-vous aux personnes souhaitant mettre un place un projet similaire ?

A.T. : Pour mener un projet de ce type, il est crucial de :
1. Monter une équipe très soudée. Travailler avec des chômeurs de longue durée demande beaucoup d’énergie et parfois cela peut conduire à l’épuisement. Il est donc important que les membres de l’équipe se soutiennent et que chacun soit en quelque sorte, le coach professionnel de l’autre.
2. Choisir attentivement le médecin. Idéalement, il doit s’agir d’une personne dotée de beaucoup d’empathie et connaissant bien le marché du travail.
3. Pouvoir compter sur un bon responsable de projet. Celui-ci ne doit pas seulement accomplir des fonctions administratives mais doit savoir gérer l’équipe de travail. Cela est très difficile. D’un côté, il faut être comme un ami et un tuteur et de l’autre côté, il faut être strict pour atteindre l’objectif. Le responsable du projet peut aider tous les membres de l’équipe, mais il ne doit pas faire le travail à leur pace.
4. Apprendre à connaître l’environnement local et les employeurs locaux. Il est essentiel d’anticiper les changements du marché du travail et être capable d’en tirer des conclusions et des leçons.

E21 : Comment avez-vous assuré le suivi du projet ? A.T. : Nous avons organisé de grandes conférences avec le soutien du Ministère du Travail et des Politiques Sociales, avec la participation des représentants locaux et régionaux. Pendant ces événements, des recommandations ont été formulées pour améliorer le cadre juridique et permettre ainsi plus de flexibilité sur le marché du travail et plus d’opportunités d’emploi pour les personnes de plus de 45 ans.
Nous avons aussi organisé trois rencontres régionales en Warmia-Mazury, Lublin et Podlasie, auxquelles ont pris part des représentants locaux et régionaux ainsi que des experts de questions liées au marché de l’emploi, aux politiques sociales et à la santé.
Pour implémenter le projet, nous avons aussi mené une série de formations intitulées « Mise en œuvre d’un modèle d’emploi accompagné pour les personnes de plus de 45 ans - Age of hot potatoes » destinées aux employeurs du secteur public et privé.
Enfin, toutes les personnes intéressées peuvent mobiliser l’équipe en charge du projet.

Interview réalisé en mars 2013 par Flavia Lucidi, pour Eurêka 21.

Retrouvez bientôt l’article sur www.eureka21.eu

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