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Les villes en transition : utopie ou réalisme ? – L’INTERVIEW

L’histoire des villes en transition débute en Irlande en 2005 lorsque Rob Hopkins, un professeur en permaculture, décide de faire travailler ses étudiants sur un plan de descente énergétique pour la ville de Kinsale. Au départ expérimentale, cette expérience séduit un groupe d’habitants décidant de mettre en pratique les préceptes édictés par Rob Hopkins. Six ans plus tard, Alan Clayton, membre du Conseil municipal et du groupe de transition de la ville de Kinsale revient pour Eurêka 21 sur cette démarche unique en son genre.



Eurêka 21 : Comment est né le projet à Kinsale ?

Alan Clayton : Tout a débuté avec des étudiants inscrits au cursus « permaculture design » du collège de Kinsale en 2005. Sous la houlette de leur professeur, Rob Hopkins, les étudiants essayent d’imaginer la ville dans une quinzaine ou une vingtaine d’années. Le document produit comprend une analyse très précise de ce que deviendraient des secteurs aussi stratégiques que l’énergie, le transport ou encore l’éducation si le pétrole venait à manquer. A la suite du projet, certains des habitants approchés par les étudiants décident de se saisir à leur tour de la question.

E21 : Quelles étaient vos motivations initiales ?

A.C. : Nous étions déterminé à ne pas attendre que le gouvernement réponde par lui-même aux défis climatiques. Nous avons décidé de former un comité basé sur la libre adhésion ; l’idée étant d’agir à notre échelle. Nous avons ensuite organisé plusieurs rencontres afin de sensibiliser les habitants du village aux défis du réchauffement climatique et à la nécessité de changer de mode de vie. Nous avons projeté plusieurs longs-métrages et organisé des groupes de réflexions autour de thématiques clés comme l’alimentation, le transport et l’éducation et l’énergie. L’objectif de ces rencontres est d’amener les participants à se questionner sur ce que pourrait être une communauté plus durable. Les groupes de réflexions ont continué par la suite à se réunir régulièrement et peu à peu des actions locales concrètes ont été envisagées.

E21 : Pouvez-vous nous citer quelques exemples concrets d’actions menées ?

A.C. : Les exemples ne manquent pas, que ce soit dans le domaine de l’alimentation, de l’éducation ou de l’énergie. Au collège de Kinsale, par exemple, certains étudiants en horticulture organique avaient mis en place des jardins familiaux pour leurs travaux d’études. Partant de cette idée nous avons acheté un terrain à un agriculteur du village, que nous avons transformé afin de permettre aux habitants de cultiver leurs propres fruits et légumes. Le projet a reçu des financements européens dans le cadre du programme Leader et a permis à deux personnes de créer leur entreprise de livraison à domicile. Nous avons également reçu des financements pour élaborer et assurer des actions de sensibilisation à l’écologie dans les écoles primaires de la région. Ces trois dernières années, nous intervenons une fois par mois dans les écoles du village afin d’apprendre aux enfants les principes d’une « vie durable ». Dans chaque école nous avons créé un jardin éducatif, nous encourageons les enfants à venir à l’école en vélo ou à pied et essayons de les sensibiliser aux économies d’énergies, sachant que les enfants sont souvent plus réceptifs que leurs parents.

Un jour le prix du pétrole sera prohibitif. Nous encourageons donc les habitants à limiter leurs dépenses énergétiques. Il y a deux ans, nous avons obtenu des financements européens via le programme Leader pour mener une étude de faisabilité pour la conception et la construction d’un digesteur anaérobie. L’idée est de collecter chaque semaine les déchets organiques issus des fermes et des hôtels de la région afin de produire électricité et chauffage. La chaleur produite serait utilisée pour chauffer les écoles et les quelques serres dont dispose le village alors que l’électricité serait revendue au réseau national. Outre, les financements européens nous avons obtenu l’année dernière 10 000 euros de fonds locaux et 15 000 euros de l’Etat pour mener à bien une seconde étude de faisabilité pour la construction d’un digesteur anaérobie d’ici un ou deux ans.

E21 : Quelles relations entretenez-vous avec les collectivités locales ?

A.C. : Le Conseil municipal de Kinsale possède une autonomie limitée. En Irlande, les politiques locales relèvent en grande partie des Comtés. Aussi, si le Conseil municipal de Kinsale est responsable de la politique du logement, de la gestion de l’eau et de la collecte des déchets, c’est le Conseil du Comté de Cork qui prend la majorité des décisions. Le soutien apporté par la commune est donc limité. A titre d’exemple, le budget alloué par la municipalité au groupe de transition était de 2 000 euros en 2009.

E21 : Comment expliquez-vous cette implication limitée de la part des collectivités locales ?

A.C. : Le changement climatique est rarement considéré comme un défi urgent à relever et encore moins comme un enjeu local prioritaire. Or, les prix de l’essence ont récemment atteint un niveau historique en Irlande autour d’1,45 euro/litre. Par ailleurs, notre discours trouve d’autant moins d’écho que les groupes de transition sont associés le plus souvent à des groupes de hippies voulant changer le monde. Les personnes engagées dans le mouvement des villes en transition sont le plus souvent issues du monde universitaire ou militant et possèdent donc souvent une image partisane. De tels a priori peuvent se révéler être de véritables barrières lorsqu’il faut convaincre les habitants du bien-fondé de notre démarche. Enfin, la crise économique a sévèrement touché l’Irlande et a incité les habitants à revoir leurs priorités et à s’intéresser d’avantage au prix des choses qu’à leur provenance et à leur mode de production.

E21 : Quelles sont vos relations avec les autres acteurs locaux ?

A.C. : L’office du tourisme est probablement l’acteur local le plus impliqué. Kinsale est en effet une station touristique populaire en Irlande qui tient sa renommée de ses maisons colorées, ses restaurants et ses activités nautiques. La ville étant également connue pour sa douceur de vivre, l’office du tourisme a rapidement été sensibilisé aux enjeux du développement durable. Il est donc pour le groupe de transition un interlocuteur privilégié et un relais essentiel au sein de la commune. En 2005, Kinsale devient la seconde ville d’Irlande à être estampillée « ville commerce équitable » grâce à l’action conjointe de l’office du tourisme et de certains membres du groupe de transition. Depuis, nous remettons conjointement chaque année le prix du « 50-mile menu » lors d’un festival gastronomique. Ce prix récompense un établissement proposant un menu conçu exclusivement de produits locaux. L’objectif est de sensibiliser la profession sur la provenance et la qualité des produits qu’ils utilisent au quotidien. Il permet également de nous faire connaître et de promouvoir notre démarche à une plus grande échelle. Il est indéniable que l’office du tourisme pourrait faire plus pour faire évoluer les mentalités mais c’est déjà un premier pas.

E21 : Participez-vous au réseau des villes en transition ?

A.C. : L’Université de Cork organise chaque année une conférence - débat sur les villes en transition. La majorité des groupes en transition d’Irlande participe à cet événement annuel. Il permet de partager et d’échanger les points de vue et les expériences. Une rencontre annuelle à Londres est aussi organisée à laquelle est convié l’ensemble des groupes à l’origine d’une initiative de transition. La proximité géographique fait toutefois beaucoup. Nous communiquons principalement avec deux groupes se situant à moins d’une vingtaine de kilomètres de Kinsale. La proximité permet de construire un réseau d’entre-aide particulièrement efficace lorsqu’un groupe est en phase de construction. Enfin, cela nous permet selon les problématiques rencontrées, de nous rapprocher pour monter conjointement un projet.

E21 : Et personnellement pourquoi avez-vous intégré un groupe de transition ?

A.C. : Il y a quinze ans, ma femme et moi avons créé une société de vente par correspondance de chocolat. A l’époque, la société s’engageait à reverser une partie de la somme perçue à une œuvre humanitaire. Aussi, lorsque certains de nos clients nous demandèrent de faire du chocolat labellisé « commerce équitable », nous n’avons pas hésité. Peu de temps après est né le projet « ville équitable ». Avec un groupe d’habitants nous avons organisé des conférences – débats pour sensibiliser les commerçants et les autorités locales à la question du commerce équitable. En 2005, nos efforts furent enfin récompensés avec l’obtention par la ville du label « Fair Trade Town ». A la même époque, les étudiants de Rob Hopkins travaillaient sur les villes en transition. L’un d’eux m’a alors contacté pour savoir si le projet m’intéressait. Ils essayaient de convaincre la municipalité du bien fondé de leur démarche et avaient besoin de personnes relais au sein de la communauté. Mon rôle a donc été de les mettre en contact avec des interlocuteurs de la mairie et de la société civile.

Propos recueillis par Rémy Mazet pour Eurêka 21, Mai 2011.

A découvrir également sur notre site : l’article consacré au mouvement des villes en transition initié par Rob Hopkins.

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